Georges Lachaze : Bonjour à tous, pour répondre à la question qui nous a été posée, je vous propose de
partir d’un exemple aussi stigmatisé que celui des CAARUD, également confronté à des questions de
représentations et de NIMBY, de lien social et de médiation sur l’entourage nécessitant un travail
important pour aller-vers, qui est celui de la Petite Rockette à Paris.
A la base, la Petite Rockette est un squat. Attention cependant, cela veut tout et rien dire ! Il existe des
squats de migrants, des squats d’artistes, de punks à chiens, de précaires… Bref, autant de squats que de
populations. Mais la Petite Rockette avait la particularité d’être inclassable avec une population diverse et
d’être soutenue par Médecins du Monde. Aujourd’hui ce squat est devenu tout un tas de chose dont une
Ressourcerie de mille mètres carrés reconnue par la municipalité dont l’intervenante, qui est à côté de moi,
est aujourd’hui adjointe.
Cet exposé va s’articuler autour de deux questions :
• comment l’articulation médicosociale a pu s’organiser au sein du squat ?
• comment le maillage autour de la structure a permis de générer du lien social ?
Delphine Terlizzi : La Petite Rockette est née en 2005 avec le squat d’un grand bâtiment de huit-cents
mètres carrés appartenant au Ministère des Finances dans le 11ème arrondissement de Paris. J’avais
participé à plusieurs squats précédemment pour des raisons professionnelles et artistiques (décors de
cinéma) et j’étais devenue une sorte de militante défendant les squatteurs qui ne pouvaient le faire. A
l’ouverture de la Petite Rockette, la mixité des publics était déjà présente avec des punks à chien, des
artistes, des SDF et c’est ce qui a fait la force du lieu.
La particularité de ce squat, décidée de façon collective, était d’avoir la porte toujours ouverte
contrairement aux autres qui nécessitent de connaitre quelqu’un, les heures ou les codes. Ce qui a permis
de voir entrer des passants, des voisins, des habitants mécontents et des élus, changeant ainsi le regard des
gens. A l’intérieur, il y avait des activités culturelles, des cours, des ateliers de yoga, d’art plastique et un
espace d’habitation séparé des activités pour préserver l’intimité des habitants. Cependant, et c’est une
autre particularité, les résidents étaient impliqués dans les activités culturelles, faisaient l’accueil des
troupes de théâtres qui venaient répéter, comme des visiteurs en leur parlant du lieu et des activités
hébergées, ou en organisant des fêtes ou des repas de quartier. Je ne vais pas mentir, ce n’était pas rose
tous les jours car beaucoup d’entre eux souffraient d’addiction et nous avons connu des soirées houleuses
avec intervention de la police et des gardes à vues. Mais comme nous étions très ouverts avec la volonté
d’être un peu la MJC du quartier, nous sommes allés voir les commerçants pour leur demander de
récupérer leurs invendus, les entreprises pour meubler le lieu et les habitants en les invitant à participer à
nos fêtes et activités.
Je tiens à remercier ici les deux premières personnes qui ont osé franchir la porte, entraidant par la suite
plusieurs centaines d’habitants et curieux. L’acclimatation des riverains a été très progressive, mais petit à
petit les gens ont eu moins peur de rentrer dans le lieu, l’ont découvert et se sont inscrits, pour certains,
dans des activités. Les familles sont également venues puisque des ateliers étaient proposés aux enfants et
tous ces habitants ont porté la bonne parole dans le quartier permettant de changer l’image de départ très
négative du squat. Les élus constatant la baisse du nombre de SDF à la rue et des plaintes associées à leur
présence sont également venus, curieux de découvrir le lieu et son fonctionnement. Ces efforts de tisser
du lien social dans le quartier, de faire médiation, ont véritablement permis de changer l’image du squat
auprès des habitants.
Cette forme d’occupation a duré six ans, jusqu’au moment où la mairie nous a invités à nous structurer
pour répondre à des appels à projets et nous permettre de bénéficier de subventions. Aucun de nous
n’était aguerri à ce nouveau fonctionnement : nous avons du improviser mais avec la chance d’avoir
comme président de l’association un membre de Médecins du Monde qui intervenait dans le squat auprès
des résidents. Cette permanence médico-socio-pyschologique permettait aux résidents qui ne se
déplaçaient pas jusque dans les structures spécialisées, de bénéficier d’un accompagnement. Nous avons
ainsi expérimenté un grand nombre de choses, toutes basées sur l’expérience humaine, et nous avons
aujourd’hui au sein de notre association dix-neuf salariés. Notre projet social a évolué puisque nous
sommes passés d’un squat d’artistes à une grande Ressourcerie qui voit les habitants déposer de nombreux
objets dont ils n’ont plus l’usage, être triés et revendus dans la boutique solidaire. La Ressourcerie est un
prétexte au lien social et nous a permis d’embaucher des résidents pourtant très éloignés de l’emploi, sans
pour autant être une association d’insertion.
Georges Lachaze : Ce que je trouve intéressant dans cette expérience est de s’être servi de l’existant autour
de la structure pour se développer. A chaque fois que l’on parle d’aller-vers dans les structures médicosociales
cela concerne les usagers, mais si le boulanger d’à côté, la boutique voisine, apportent des
croissants ou des vêtements, c’est toujours ça de pris ! Si cela permet de faire du lien, casser les
représentations, de toucher une population à laquelle on n’aurait pas pensé, d’ouvrir le lieu, de faire
participer les usagers, cela amène une vraie dynamique. Concernant le squat, des personnels des services
d’hébergement d’urgence auraient aimé orienter des personnes vers la Petite Rockette, mais ce n’était pas
possible règlementairement. Pourtant le squat proposait plus de nuitées que le 115 ! Je trouve que le
décloisonnement proposé est particulièrement intéressant, d’autant que Delphine, n’étant pas
professionnelle du secteur, a un autre regard sur les publics et a eu le pragmatisme de s’appuyer sur son
environnement. Il faut savoir faire preuve d’inventivité, de créativité et d’adaptabilité pour faire avec
l’existant et la question du maillage aujourd’hui en RdR est essentielle. Quant on sait qu’en moyenne en
France, un CAARUD fonctionne avec trois « équivalent temps plein », il faut savoir utiliser le système D et
s’appuyer sur les bonnes volontés.
ECHANGES AVEC LA SALLE
Question.
Pour avoir accompagné des usagers dans un très gros squat et vu ce que vous faites à la Petite Rockette,
est-ce que des personnes viennent vous voir pour s’inspirer de votre action et vous demander quelques
clés pour qu’ils puissent prendre ce type d’initiatives ?
Delphine Terlizzi : Il existe l’association des Crocheteurs de France qui apprend à ouvrir les serrures ! (rires)
Nous partageons volontiers notre expérience et recevons régulièrement des collectifs qui souhaitent ouvrir
des lieux mais ne savent pas comment faire. Nous restons en lien avec les autres squats et leur conseillons
même le nécessaire indispensable pour tenir les dix premiers jours sans électricité, ni chauffage. Nous
sommes également toujours en lien avec les personnes à la rue en leur offrant la gratuité de notre vestiaire
qui est un des plus gros de Paris. Nous préparons pour les cinq maternités des hôpitaux publics des
trousseaux de naissance pour les mamans en galère. La Ressourcerie est un prétexte pour rester en lien,
même si nous ne sommes plus en squat et payons avec plaisir un fort loyer pour nos locaux.
Georges Lachaze : D’un côté, la pédagogie sur le type de bâtiment est importante avec des actions
tournées vers des bâtiments mis en jachère par de grands groupes plutôt que des particuliers. D’un autre,
les initiatives en direction des personnes à la rue se multiplient avec notamment le « carillon » que posent
les commerçants sur leur devanture et qui offrent l’accès aux toilettes ou au téléphone, les « cafés
suspendus » où les clients payent deux fois leur consommation en solidarité avec les SDF qui peuvent ainsi
bénéficier d’une consommation gratuite… Ces initiatives contribuent à casser les représentations dont
souffrent également les CAARUD.
Martine Lacoste : Un des points extrêmement positifs de cette aventure est que le démarrage s’est fait
avec des personnes à la rue et des artistes. Ce mélange semble un terreau particulièrement riche à
l’imaginaire, à l’innovation, ce qui a certainement apporté un supplément d’âme au projet, sur ce qu’il est
possible de faire ensemble, créant une véritable « tribu » qui avait un projet de qualité de vie, d’intention,
de partage. Un esprit porté dans les années 70 par les babas cools et leur communauté qui regroupaient à
la fois les gens qui étaient là sans but individuel précis et d’autres qui avaient une forte inspiration et qui
assuraient la réussite de ces aventures. La mixité est la clé de la réussite et il ne faut pas oublier cet
élément central dans l’aventure humaine de ce projet, qui vaut pédagogie. Ce sont des actions de acting
comme celle-ci qui prouvent que quand la vie prend le dessus, les actions médico-psycho-sociales sont
moins nécessaires. Nous n’avons pas vocation à être présents partout, tout le temps. Il faut que chacun soit
à sa place, les professionnels ne peuvent suppléer l’absence de lien social mais restent des recours et il faut
que les squatteurs n’hésitent pas à solliciter les CAARUD pour l’aide qu’ils peuvent apporter sur l’accès aux
droits lorsqu’ils en ont besoin. Pour l’anecdote, Housing First a débuté par un squat, celui d’une personne
avec une maladie mentale lourde qui a pris une hache pour occuper une maison abandonnée et le médecin
psychiatre qui le suivait, Vincent Girard, a dit « tu es là, tu es chez toi » et cette position est devenue « un
chez soi d’abord » calquée ensuite sur les méthodes nord-américaines.
Jean-Hugues Morales : Si nous ramenons cet exemple au thème qui nous occupe aujourd’hui, force est de
constater que pour un exemple réussi, combien d’actions cassées dans l’œuf ou remises à plus tard ? La
fantasmatique du grand soir est présente, alors que nous sommes là pour travailler la question de
comment faire société et aider ces initiatives, et surtout comment pouvons-nous aider à les pérenniser ?
Autre question liée à l’engagement, comment aider celles et ceux qui ont essayé à plusieurs reprises et sont
laminés à chaque nouvel échec ? Je ne pense pas que vous ayez la réponse, mais cette question mérite
d’être soulevée.
Georges Lachaze : Je précise que le but de cette intervention n’est pas de dire aux CAARUD d’ouvrir des
squats, mais plutôt de s’inspirer du travail d’ouverture et hors-les-murs de cette expérience.
Delphine Terlizzi : Aujourd’hui avec dix-neuf salariés et de nombreuses activités ouvertes sur le quartier,
prétextes à faire du lien, l’action est pérennisée. C’est essentiellement grâce à l’activité économique qui
nous permet d’être autonomes à 70%. Les financements publics qui nous arrivent ne sont pas des
financements sociaux, mais émargent plutôt sur des lignes environnement-écologie-déchets. C’est le lieu
avec sa grande vitrine sur la rue qui nous a incité à ouvrir la Ressourcerie avec des compétences qui nous
semblaient accessibles. C’est le fait de gagner de l’argent qui nous permet aujourd’hui d’être autonome et
de lancer de nouveaux projets comme le café associatif. Cet équilibre économique nous permet d’innover
constamment et de répondre aux attentes des publics qui évoluent avec le temps
Quelles médiations avec des personnes vivant en squats ?
Intervention
Article:
Le lien social à l'épreuve des consommations dans l'espace public
Delphine TERLIZZI, Représentante de la Petite Rockette ,Georges LACHAZE, Coordinateur de l’Observatoire des Droits des Usagers, ASUD